Révolution hongroise par John Szabo, Master Sommelier
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Révolution hongroise par John Szabo, Master Sommelier

Dans cet article, John Szabo, Master Sommelier partage avec nous sa vision de la Hongrie et du vin hongrois.

John Szabo est Master Sommelier, basé à Toronto. Il est également journaliste et écrivain reconnu pour son expertise des terroirs volcaniques. Ce passionné de vins d’origine hongroise a un jour réalisé que les vins qui l’intriguaient le plus provenaient de régions volcaniques. C’est ainsi qu’il s’est lancé dans des recherches sur le monde des vins volcaniques et qu’il a alors parcouru une douzaine de pays, et une trentaine de régions différentes − y compris la Hongrie, connue pour ses terroirs volcaniques. De ce parcours est né son livre en 2016 : Volcanic Wines: Salt, Gritand Power.

Je me souviens de mon premier voyage à Budapest vers la fin des années 1970. J’allais rendre visite à mes grands-parents avec ma famille. Étrangement, mes souvenirs sont gravés en noir et blanc. Derrière le rideau de fer, cette ville exotique, lointaine, me semblait prisonnière du passé, un endroit reculé que la télé couleur n’avait pas encore atteint.

D’une rue à l’autre s’étiraient de longues rangées d’immeubles résidentiels. Tous carrés, tous pareils. Le diesel qui s’échappait des Lada et des Trabant ternissait les édifices de pierre, faisant tout paraître couleur suie. Les marques laissées par des balles perdues rappelaient l’insurrection manquée de1956. Des hommes moustachus en uniforme sirotaient du café noir et de la pálinka − une puissante eau-de-vie de fruits −histoire d’échapper au train-train quotidien.

Dans les quarante ans qui suivirent, je suis retourné à Budapest presque autant de fois, témoin de sa transformation en ville européenne moderne et rayonnante. Une « Paris de l’Est », comme on l’appelle souvent. Financé par l’Union européenne, le projet de nettoyage a duré des décennies et rendu Budapest presque méconnaissable pour l’enfant en moi, culturellement riche, fourmillant de restaurants et de bars à vin, pleine de vie.

L’industrie du vin hongrois a évolué de façon tout aussi frappante. La viticulture n’a rien de nouveau dans cette partie du globe, évidemment ; on en trouve des traces qui remontent à la fondation du pays en 896 de l’ère commune, et même jusqu’à l’époque romaine. Le fait que le terme hongrois désignant le vin− bor − soit l’un des deux seuls en Europe à ne pas dériver du latin témoigne du lien existant entre les Magyars et le vin.

Dans le cadre de l’économie planifiée de l’URSS, chaque pays du bloc soviétique s’était vu attribuer des tâches particulières: la Tchécoslovaquie produisait des locomotives et des tramways ; la Russie, des tracteurs, par exemple. Quant à la Hongrie, le Comité central reconnaissait sa vocation : le pays était désigné comme producteur de vin et chargé d’approvisionner le marché vaste mais modeste du bloc communiste.

Mais ces vins, tout comme les blocs, ces immeubles résidentiels glauques de l’ère communiste, étaient principalement des produits industriels sans caractère, marchandise faite à la chaîne, sans plus, par d’immenses coopératives publiques. La contribution de la Hongrie aux pays du Conseil d’assistance économique mutuelle se résumait à un âpre egri bikavér, au debrőí hárslevelű demi-doux et au tokaji aszú, oxydé, de couleur bronze.

La chute de l’URSS en 1991 a entraîné en Hongrie des investissements de partout, dont ceux de l’Union européenne, non seulement dans des projets d’infrastructures, mais aussi dans l’industrie vinicole. C’était le début d’une importante reconstruction. Une génération plus tard, malgré un retard sur le plan de la notoriété à l’international, la Hongrie peut être considérée comme l’une des nations historiquement marquantes insoupçonnée en matière de production de vin.

Les jeunes viticulteurs repoussent les frontières des vins biologiques, biodynamiques et nature en réinventant les classiques. Le plein potentiel des variétés indigènes comme les furmint, hárslevelű et olaszrizling en blanc, et les kékfrankos et kadarka en rouge, est exploré et exploité. L’enthousiasme dans ce domaine est aussi palpable que l’énergie dans une boîte de nuit de Budapest.

Aujourd’hui, la Hongrie compte un peu plus de 60 000 hectares de vigne (environ la moitié du vignoble bordelais) et l’accent est de nouveau mis sur des terroirs de qualité, souvent à flanc de coteau. Il existe 33 OEM, l’équivalent hongrois des appellations d’origine protégées. Je vous conseille de commencer par explorer l’une des cinq régions les plus connues.

Les régions volcaniques : lac Balaton, Eger, Tokaj

Il n’y a peut-être plus de volcan actif en Hongrie, mais la géologie du terroir sur ce plan est spectaculaire. Tout pour plaire aux amateurs de vins volcaniques. La campagne hongroise est parsemée de dizaines de sources minérales et de piscines thermales naturelles, qui rappellent le volcanisme, tout comme les terroirs de choix qui s’étendent dans le nord du pays.

Badacsony

À environ 90 minutes de voiture au sud-ouest de Budapest se trouve le lac Balaton, appelé « la mer hongroise », vestige de l’ancienne et plus vaste mer de Pannonie. Badacsony en est l’appellation la plus connue, désignée ainsi d’après la localité se trouvant près du lac et la colline couverte de vignes qui la surplombe. Il s’agit d’un terroir de blancs, principalement minéraux et salins. Allez-y pour des vins exotiques plus rares comme des kéknyelűet des rózsakő (« pierre rose »), ou d’autres plus connus mais tout aussi convaincants, comme des olaszrizling et des rieslings.

Eger

La charmante ville baroque d’Eger et son vignoble sont situés à l’est de Budapest. Des rouges et des blancs de climat doux y sont produits en proportion presque égale, le plus connu des vins étant l’egri bikavér. Malgré son passé peu glorieux, le bikavér a été réinventé et est maintenant l’assemblage rouge phare de la Hongrie, composé la plupart du temps de kékfrankos auquel on ajoute différentes proportions de merlot, de cabernet franc et sauvignon, et de kadarka. L’équivalent en blanc, qui s’est vu accorder sa propre appellation en 2010, est l’egri csillag, qui veut dire « étoile d’Eger », et dans lequel sont assemblés des cépages locaux et internationaux.

Tokaj

À une heure d’Eger, vers l’est, se trouve Tokaj-Hegyálja, la région viticole sans doute la plus connue de la Hongrie. Ce site figurant au patrimoine mondial de l’Unesco est un endroit magique à visiter. Tout est encore intact, figé dans le temps : les rues pavées, les anciens chais souterrains, les maisons de paysans et les manoirs d’aristocrates.

Le tokaji aszú, vin doux botrytisé, est le vin le plus reconnu de la région. Son histoire a plus de 500 ans. Dans une complexité étonnante d’arômes s’y marient un taux extrême de sucre et une belle acidité. Voilà révolue l’époque des vins fatigués du 20e siècle. Mais parmi les nombreux changements radicaux qui ont remodelé la région de Tokaj, le plus important a sans doute été l’élaboration de vins secs, dont l’idée est venue plus tard. Le raffinement en matière de choix de sites et de techniques relativement aux cépages phares de la région − le furmint et le hárslevelű − ont permis de produire d’inoubliables tokaj secs.

Terroir ensoleillé du sud : Szekszárd et Villány

Au sud de Budapest se trouvent deux importantes régions viticoles : Szekszárdet Villány. Auparavant, les rouges costauds faits à partir de cépages bordelais dominaient et impressionnaient par leur puissance, leur maturité et leur arôme de chêne. Mais de nos jours, comme ailleurs, les producteurs mettent l’accent sur la fraîcheur et l’élégance des cépages locaux, en particulier le kékfrankos et le kadarka, et de leur propre version du bikavér.

Villány, la région viticole hongroise la plus au sud, a été l’une des premières à investir dans la qualité et le développement de la culture du vin depuis le renouveau. Elle a lancé la première route touristique des vins en 1994. Et à la question de savoir d’où viennent les meilleurs vins rouges, n’importe quel Hongrois répondra invariablement : Villány. Les cépages bordelais y sont les plus cultivés, mais Villány est l’une des rares régions où le cabernet franc a plus la cote que le cabernet sauvignon, avec sa propre classification triple : Villányi franc classicus, premium et super premium

Ce n’est que le début. Célébrez la plus récente révolution (réussie !) hongroise en découvrant les vins de ce joyau coloré de l’Est.

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